La période de Thonburi et Bangkok (1768-1932)

Histoire de la Thaïlande - partie 3/5

L'Indochine en 1886
L’Indochine en 1886.

Taksin le Grand (1769-1782)

Malgré sa défaite totale et l’occupation birmane, le Siam se redressa rapidement. La résistance contre la Birmanie fut menée par un noble d’origine chinoise, Taksin, un chef militaire talentueux. En un an, il parvint à battre l’armée d’occupation birmane et reconstruire un état siamois dont la capitale fut installée à Thonburi, sur la rive gauche de la Chao Praya. Taksin fut couronné roi le 28 décembre 1768 (son nom officiel est maintenant Taksin le Grand). Il unifia à nouveau le centre de la Thaïlande, et en 1769 il occupa l’ouest du Cambodge. Il rétablit ensuite la domination siamoise sur la péninsule malaise, jusqu’à Penang. Avec une base forte au Siam, Taksin attaqua les Birmans dans le Nord en 1774 et s’empara de Chiang Mai en 1776, rattachant le royaume de Lanna au Siam de façon définitive.

Rama I (1782-1809)

Le général Chakri succéda à Taksin en 1782 sous le nom de Rama I, le premier roi de la dynastie Chakri. La même année, il fonda une nouvelle capitale à Bangkok. Rama I rétablit la plupart du système social et politique du royaume d’Ayutthaya, promulguant un nouveau code judiciaire, remettant au goût du jour les cérémonies de la cour et imposant une discipline aux moines bouddhistes. Les Birmans envahirent le Siam à nouveau en 1785. Ils occupèrent le nord et le sud mais furent vaincus dans une bataille près de Kanchanaburi. Ce fut la dernière invasion birmane majeure, même si des troupes birmanes durent être expulsées de Lanna en 1802. En 1792, les Siamois occupèrent Luang Prabang et presque tout le Laos tomba sous le contrôle indirect du Siam. Le Cambodge était aussi dominé par le Siam. A sa mort en 1809, Rama I avait construit un empire siamois qui dominait un territoire largement plus grand que la Thaïlande actuelle.

Rama II (1809-1824)

Pendant le règne de Rama II, des influences occidentales se firent sentir à nouveau au Siam. En 1785, les Britanniques occupèrent Penang et ils fondèrent Singapour en 1819. En 1821, le gouvernement des Indes britanniques envoya une délégation au Siam pour lui demander de lever les restrictions sur le libre échange, le premier épisode d’une question qui allait dominer la politique siamoise durant tout le XIXème siècle.

Rama III (1824-1851)

Le Wat Pho à Bangkok
Le Wat Pho à Bangkok.

Rama II mourut en 1824 et son fils lui succéda. En 1825, les Britanniques envoyèrent une autre délégation à Bangkok. A l’époque, ils avaient annexé le sud de la Birmanie et étaient donc les voisins du Siam à l’ouest. De plus, ils renforçaient leur contrôle sur la Malaisie. Le Roi ne voulait pas répondre favorablement aux demandes britanniques, mais ses conseillers le mirent en garde : le Siam connaîtrait le même destin que la Birmanie si on n’accédait pas aux demandes des Anglais. C’est pourquoi, en 1826, le Siam signa son premier traité commercial avec une puissance occidentale. D’après le traité, le Siam acceptait de mettre en place un système de taxation uniforme, de réduire les taxes sur le commerce extérieur et de supprimer certains des monopoles royaux. Par conséquent, le commerce du Siam se développa rapidement, beaucoup plus d’étrangers s’installèrent à Bangkok et des influences culturelles occidentales commencèrent à se répandre. Le royaume s’enrichit, ce qui permit à son armée de mieux s’équiper.

Une rébellion laotienne menée par Anouvong fut mise en échec en 1827, à la suite de quoi le Siam détruisit Ventiane et procéda à des déplacements de population massifs du Laos à la région de l’Issan, qui était mieux contrôlée. Entre 1842 et 1845 le Siam mena avec succès une guerre contre le Vietnam, ce qui lui permit de resserrer son éteau sur le Cambodge. L’héritage de Rama III le plus visible est le complexe du Wat Pho, à Bangkok, qu’il a agrandi et doté de nouveaux temples.

En 1850, les Britanniques et les Américains envoyèrent des délégations à Bangkok pour demander la fin de toutes les restrictions sur le commerce, la mise en place d’un gouvernement de style occidental et l’immunité pour leurs citoyens face à la loi siamoise (extra-territorialité). Le gouvernement de Rama III refusa ces demandes, laissant une situation de crise à son successeur, son frère Mongkut.

Rama IV (1851-1868)

Mongkut monta sur le trône sous le nom de Rama IV en 1851. Il voulait épargner la domination coloniale au Siam, mais il n’avait pas de pouvoir réel et il dut céder aux Britanniques, en signant un traité limitant les taxes d’importation, en abolissant les monopoles royaux et en accordant l’extra-territorialité aux sujets britanniques. D’autres puissances occidentales s’empressèrent de demander des concessions identiques, qu’elles obtinrent.

Le Roi réalisa rapidement que la vraie menace sur le Siam venait des Français, et non des Britanniques. Ces derniers étaient intéressés par des avantages commerciaux, tandis que les Française cherchaient à bâtir un empire colonial. Les Français occupèrent Saigon en 1859 et établirent un protectorat sur le Vietnam du sud et l’est du Cambodge. Rama IV espérait que les Britanniques défendraient le Siam s’il leur accordait les concessions économiques qu’ils demandaient. Cela s’avéra par la suite être une illusion, mais par chance le Siam était considéré par les Britanniques comme une sorte de tampon entre la Birmanie britannique et l’Indochine française.

Le Roi Chulalongkorn – Rama V

Le Roi Chulalongkorn - Rama V
Le Roi Chulalongkorn – Rama V.

Le roi Chulalongkorn fut le premier roi siamois à avoir une éducation entièrement occidentale. Il créa un Conseil Privé et un Conseil d’Etat, un système judiciaire formel et un bureau du budget. Il annonça l’abolition progressive de l’esclavage et la limitation de la servitude pour dettes. Il mit en place un gouvernement, un bureau d’audit et un département de l’éducation. Chiang Mai perdit son statut semi-autonome et l’armée fut réorganisée et modernisée.

En 1893, les autorités françaises en Indochine utilisèrent le prétexte d’une dispute mineure à la frontière pour provoquer une crise. Des bateaux de guerre remontèrent jusqu’à Bangkok et réclamèrent la cession des territoires laotiens à l’est du Mékong. Le roi en appela aux Britanniques, mais il se vit répondre de s’entendre sur ce qui pouvait l’être et qu’il n’avait d’autre choix que d’obéir. Le seul geste de la Grande Bretagne fut un accord avec la France garantissant l’intégrité du reste du Siam. En échange, le Siam devait laisser aux Britanniques la région des Shans, des locuteurs taï (du nom de la famille de langues) dans le nord-est de la Birmanie.

Les pertes territoriales du Siam - 1867-1909
Les pertes territoriales du Siam – 1867-1909.

Cependant, les Français ne relâchèrent pas leur pression sur le Siam, et en 1906-1907, ils fomentèrent une nouvelle crise. Cette fois-ci, le Siam dut concéder aux Français le contrôle d’un territoire dans la région de Luang Prabang, d’un autre dans la région de Champasak, dans le sud du Laos, ainsi que de tout l’ouest du Cambodge. Les Britanniques intervinrent pour empêcher les Français de se montrer trop gourmands, mais le prix à payer pour le Siam fut, en 1909, la perte de la souveraineté sur quatre provinces malaises (Kedah, Kelantan, Perlis et Terengganu) au profit des Britanniques. Le traité marqua aussi la frontière moderne entre le Siam et la Malaisie péninsulaire, affirmant l’autorité des Thaïs sur les provinces de Pattani, Yala, Narathiwat et Satun, qui faisaient auparavant partie des sultanats malais semi-autonomes de Pattani et Kedah.

A la mort du roi, en 1910, le Siam était devenu un pays presque moderne et il n’avait toujours pas été colonisé. Les Thaïs considèrent que c’est grâce aux compétences diplomatiques de leurs souverains et grâce aux réformes menées pour la modernité qui firent du Siam le seul pays d’Asie du Sud et du Sud-Est à avoir évité une colonisation européenne.

Depuis cette époque, Rama V est vénéré. De nos jours, son portrait est accroché dans beaucoup de maisons et magasins, et de nombreux Thaïs pensent qu’il porte chance. L’anniversaire de sa mort est célébré le 23 octobre, jour férié en Thaïlande.

Rama VI (1910-1925)

Vajiravudh (Rama VI), qui fut éduqué en Grande-Bretagne, appliqua ce qui faisait le succès de la monarchie britannique selon lui, apparaissant plus en public et instituant davantage de cérémonies royales. Mais il continua aussi le programme de modernisation de son père. La polygamie fut abolie, l’éducation primaire fut rendue obligatoire et l’enseignement supérieur fit son entrée au Siam avec la fondation en 1916 de l’université Chulalongkorn, qui allait devenir un terreau pour la nouvelle intelligentsia siamoise.

En 1917, le Siam déclara la guerre à l’Allemagne, surtout pour s’attirer les faveurs des Britanniques et des Français. La pseudo participation du Siam à la Première guerre mondiale lui valut un siège à la Conférence de Versailles, et le ministre des Affaires Etrangères, Devrawongse, en profita pour demander l’abandon des traités du XIXème siècle et le rétablissement de la souveraineté siamoise. Les Etats-Unis acceptèrent en 1920, tandis que la France et la Grande-Bretagne firent durer jusqu’en 1925. Cette victoire redora le blason du roi, mais cette popularité fut vite éclipsée par le mécontentement portant sur d’autres points, comme son extravagance, qui fut particulièrement montrée du doigt lorsqu’une récession affecta le Siam en 1919.

Rama VII (1925-1935)

L’héritage que Prajadhipok (Rama VII) reçu de son frère aîné était constitué de problèmes qui étaient devenus chroniques. Le plus urgent était relatif à l’économie : les finances de l’Etat étaient désastreuses et le budget accusait un déficit colossal. Le Roi réussit à stabiliser l’économie ; cependant il dut licencier de nombreux fonctionnaires et baisser les salaires des autres. Bien entendu, ce fut une mesure très impopulaire, et elle jeta les bases du coup d’état de 1932.

Le 24 juin 1932, alors que le Roi était en vacances au bord de la mer, la garnison de Bangkok se rebella et prit le pouvoir. Cela mit fin à 150 ans de monarchie absolue.

Be the first to comment

Leave a Reply

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*